«Le langage des cravates» est une pièce que j'ai écrite en Espagne en 2012, alors que nous faisions face à une grande récession depuis 2008. La crise financière mondiale, qui s’est propagée à partir des États-Unis, a sérieusement remis en cause la situation de l’Espagne et affecte tous ses territoires, secteurs et milieux économiques, destructurant les budgets des ménages, avec des effets qui rappellent ceux de la crise de1929.
Depuis la Révolution Industrielle jusqu’au milieu du XXème siècle, l’industrie est à la base du système capitaliste. Cependant, depuis les années 70, on assiste à l’émergence d’un nouveau type de capitalisme, non plus basé sur l’industrie mais sur la finance. Ce capitalisme financier désigne un monde déconnecté de «l'économie
réelle», qui accorde à l'actionnaire une importance largement excessive.
C'est dans ce contexte que j'ai souhaité créer une pièce burlesque qui parle de notre monde. Si de nombreux documentaires et écrits font un état des lieux remarquable pour analyser la situation économique mondiale, pour ma part j'ai choisi l'humour pour parler de notre monde.
Enfant, j'ai découvert Jacques Tati, Jour de fête et Mon oncle qui m'ont marqué suffisamment pour qu'adulte je cherche dans cette direction en terme de langage
théâtral. Pour cette pièce je me suis demandé ce que pourrait être aujourd'hui un langage burlesque pour parler des absurdités de notre monde, notre difficulté à être simplement nous mêmes dans un monde de plus en plus codifié qui offre la part belle aux marques, aux apparences, à l'image, aux étiquettes.
Je me suis intéressée aux nouveaux modes de managements, à la dictature des statistiques et aux tests-à-l'embauche qui oublient la particularité de chaque individu et qui cherchent à uniformiser l'espèce humaine. Je suis allée vers une écriture à prendre comme un assemblage ludique, qui fait la part belle au rire, à l'humour décalé ainsi qu'à notre capacité à savoir rire de nous-mêmes. Cette écriture s'appuie sur un langage qui “switch” en permanence du français à l'anglais, “on ne réduit pas, on stretch;
on ne surveille pas l’heure, on timekeep; on n’a pas des slides, on a des inputs».
Elle s"appuie la forme des jeux de rôles où l'un se prend pour le manager idéal et les autres jouent aux employés modèles.
Je pense que ce recul sur nous-mêmes,possible grâce au rire nous permet aussi d'agir sur le monde et sur nos atavismes.
SUR L'ÉCRITURE DU SPECTACLE
Je prends le mouvement et le geste comme base de travail et comme ancrage essentiel qui touche au rythme même du vivant et qui précède la parole. C’est par
notre corps que nous prenons connaissance du monde qui nous entoure et que nous appréhendons les actions humaines.
Le corps est capable d’exprimer ce qu’on veut montrer mais aussi ce qu’on veut cacher. Il s’agit d’une écriture de plateau avec les comédiens, une écriture qui
s’écrit et qui s’invente au fil des répétitions. Ce qui m’intéresse à travers cette forme d’écriture c’est d’inventer avec les comédiens un langage corporel et gestuel
qui raconte les obsessions, les manies, la gêne, la peur de l’autre, le corps social et le corps intime pour mettre en évidence le caractère codifié et parfois absurde des
relations humaines dans nos sociétés modernes.
Un langage qui exprime plus en disant moins. A travers cette forme d’écriture c’est le spectacle qui génère ses propres règles. Pour ce travail, mon souci est de garder une grande distance avec la caricature, ce qui m’intéresse c’est la stylisation. Le quotidien fait disparaitre la particularité des êtres humains. Ce qui m’intéresse c’est de capturer la particularité de ces personnages pour parler d’humanité.
LA PLACE DE L'HITOIRE ET DE LA PAROLE
Les personnages n’ont pas une histoire à nous raconter mais de situations en situations ils nous racontent notre monde. Il est essentiel pour moi de privilégier un théâtre métaphorique et stylisé pour éviter la direction du théâtre sociologique, psychologique et naturaliste.
J’aime l’idée que pour ce travail, le texte soit à prendre comme un matériau organique et sonore (les textes qui patinent, les difficultés d’élocution, les borborygmes...) qui nous ramène encore à la difficulté de la relation aux autres, cette difficulté d’adaptation au réel, toutes ces trahisons du corps, que le corps social n’arrive jamais à effacer.
C’est aussi parfois un langage d'onomatopées, uniquement compréhensibles dans le contexte immédiat où elles sont prononcées.
UN TRAITEMENT PARTICULIER DE LA MATIÈRE SONORE
Dans nos sociétés ultra-modernes, nous vivons dans un monde envahit par les bruits de toutes sortes. Nous devons nous adapter à des nuisances sonores où que l’on aille, que ce soit dans des lieux publics ou privés, qui nous imposent des messages permanents (slogans, publicités, informations, musique, radio ...) dans les supermarchés, les salles d’attente, les bars, les magasins ou dans des lieux public tels que les gares, le métro...
Dans cette salle d’attente, je souhaite mettre en exergue cette réalité, mettre en scène tous ces éléments sonores et jouer avec les nerfs du public, de façon raisonnable mais suffisamment pour qu’il développe une réflexion sur le sujet.